Ceux qui sont à risque, les malades avérés, leurs proches, les soignants quel que soit leur fonction et ceux qui se trouvent devant des tâches et des choix impossibles peuvent être emparés par la peur. Celle de la mort qu’engendre le covid-19, celle de ne pas y arriver, celle d’avoir à choisir de garder un malade et pas un autre, celle de fermer un linceul sans rite possible … etc.
La peur sourde, muette le plus souvent ne se dit pas mais est palpable. Elle peut être là au plus creux de soi. Elle paralyse nos actes, notre pensée. On dit la peur au ventre car elle se sent indéniablement et on la fait sentir, parfois par le plus archaïque des sens : l’odeur.
Wilfred R. Bion, psychanalyste anglais, a vécu cette peur à 20 ans, sur la route d’Amiens-Roye, alors qu’il était chef de char. A 50 ans et encore plus tard il écrivit : « Je suis mort là, ce 8 août 1918 ! ». Une mort psychique qui inhibe, fige toute pensée, une « terreur sans nom ».
Psychanalytiquement, il ne s’agit pas de traumatisme. Notre métier de psy-clinicien a, ici, à s’ajuster afin d'accueillir l'angoisse, la peur, la détresse, le désespoir ... Les travaux et séminaires de Wilfred R. Bion aident à être attentif et à penser à « l’extrême richesse de la situation » de ce qui passe, ce qui se passe entre un analyste et un patient, à « insuffler de la vie dans cette minuscule survivance » qui se présente à nous. Il nous enseigne que « L’essentiel en analyse est que nous devrions être capables de continuer à penser lorsque la situation est d’une tension extrême. » Ainsi, nous psychologues en réanimation, n’avons-nous pas à continuer à animer, réanimer une vie psychique parfois si mise à mal ?
Nous avons fait l’expérience à l’AML de l’importance du langage parlé, notre écoute devenant offre de paroles. De plus, maintenant au téléphone, soyons attentifs à toutes les variabilités des voix, à leur rythme, à leur texture qui sont indicatrices du climat émotionnel de celui qui est parvenu à nous appeler au-delà bien souvent de la signification de ce qui est dit. Notre rêverie traduite à celui que nous appelons pour lui proposer une écoute peut permettre de le « vêtir de paroles » selon l’expression si juste de Joseph Gazengel.